Altis : chronique d’un effondrement
En moins de dix ans, Altis est passé de modèle régional à gouffre financier. Derrière les 55 millions de dettes relayé mercredi soir par Le Nouvelliste, notre enquête, appuyée sur des documents internes et des témoignages connus de la rédaction, met en lumière une faillite humaine de longue date.

Acte I – L’ascension
À Bagnes en 2017, les Services industriels cèdent la place à une nouvelle entité : Altis.
Sur le papier, tout semble promis au succès. Électricité, eau, chauffage à distance, bornes de recharge, pôle d’innovation : le groupe veut couvrir l’avenir énergétique de la vallée et rayonner bien au-delà. L’effectif grimpe vite, de 100 à plus de 150 employés. Les projets se multiplient. L’image est celle d’une success story régionale, symbole de dynamisme.
Mais derrière cette façade, les fondations sont plus fragiles qu’il n’y paraît.
Acte II – Les premiers dérapages
Les chantiers emblématiques révèlent les failles. Un exemple parmi d’autres : la cabane de Chanrion, prévue à 650’000 francs, termine à 1,13 million. Près de 75 % de dépassement. Pas un accident isolé, mais le signe d’une incapacité chronique à tenir un budget. Et même si Altis n’a pas directement supporté ce surcoût – puisqu’elle agissait comme prestataire – ce cas reste parlant : il illustre, selon les documents internes que nous avons consultés, la difficulté de l’entreprise à planifier et à piloter ses projets.
L’aventure numérique IRIS enfonce le clou. Présentée comme la vitrine digitale d’Altis, elle devait révolutionner la consommation énergétique. Mais son produit phare, IRIS Home, s’avère sans contenu. "C’était censé révolutionner la gestion énergétique des ménages, mais en réalité, il n’y avait rien de concret", raconte un ancien cadre.
Les collaborateurs voient défiler consultants et projets hasardeux. "On mettait la charrue avant les bœufs", résume un ex-collaborateur. "Des projets étaient lancés sans réfléchir, on savait qu’on avait assez de fric."
Et pendant que l’argent s’évapore dans des projets mal maîtrisés, les habitants de la vallée paient leur électricité à des tarifs parmi les plus élevés du Valais romand.
En 2025, le tarif standard d’Altis atteint 31,76 centimes/kWh, contre une moyenne cantonale de 28,53 centimes.
"Il est possible de baisser les prix de l’électricité, mais Altis coûte trop cher", déplore un employé actif dans le domaine. Pour lui, ce ne sont pas tant les coûts d’énergie brute que l’acheminement – lesté par la structure interne d’Altis et ses frais de fonctionnement – qui rendent la facture si lourde.
L’argent coule, mais la confiance se fissure.
Acte III – La rupture
Juin 2022 : un directeur respecté, artisan du chauffage à distance, est licencié du jour au lendemain. Aucun motif clair n’est transmis aux équipes.
Dans un courriel interne en notre possession, adressé à tout le personnel, il dénonce la décision et rappelle que la direction avait promis qu’aucun licenciement ne découlerait du plan de transformation alors en cours. Pour défendre sa réputation, il joint l’assessment du cabinet Vicario Consulting, également obtenu par nos soins : on y lit qu’il est "empathique et rassurant", "valorisant et fédérateur", "soucieux du bien-être et du développement de ses collaborateurs". Une évaluation qui ne ressemble en rien à des arguments pour une éviction.
La stupeur est générale. Et bientôt, la colère.
Quelques jours plus tard, plusieurs collaborateurs adressent une lettre collective au conseil d’administration, que nous nous sommes procurée. Ils parlent d’une "atmosphère lourde et pesante", de "tension imposée par la direction générale", et alertent : ce climat nuit à "la qualité du travail et à l’image d’Altis".
C’est un tournant. Pour beaucoup, ce licenciement marque la fin de la confiance. Mais au sommet, rien ne bouge : le conseil d’administration prend acte, tente d’éteindre l’incendie et poursuit sa route.
Acte IV – L’étouffement
Après le choc de 2022, la défiance s’installe.
Dans les ateliers comme dans les bureaux, la même impression domine : parler ne sert à rien. "Il n’y avait jamais de retour quand tu présentais quelque chose", se souvient un ancien ingénieur. Les propositions s’empilent dans les dossiers, sans réponse. Les décisions se prennent ailleurs, dans un cercle restreint, et descendent sans explication.
La coopération disparaît. Les services fonctionnent en silos, parfois en opposition frontale.
Le recours aux consultants s’intensifie. Pour beaucoup d’anciens employés à qui nous avons parlé, le message est clair : leur savoir-faire n’a plus de valeur. Les projets se décident en externe, les équipes sont réduites au rôle d’exécutants.
La conséquence est tangible : motivation en berne, départs non remplacés. Pendant plusieurs années, Altis a même fonctionné sans directeur financier – un vide symptomatique d’une organisation où le contrôle se perdait.
L’entreprise grossit encore sur le papier, mais son cœur bat de moins en moins
Acte V – Le déni et la chute
Fin juin 2025, Altis publie un communiqué officiel. On y lit :
"Malgré un déficit budgétaire en 2024, la survie d’Altis Groupe SA n’est pas menacée. Enfin, il faut souligner le sens du devoir infaillible des 150 femmes et hommes qui composent cette organisation."
Une communication lisse, calibrée, qui promet des "mesures correctives" et remercie les actionnaires.
Moins de deux mois plus tard, le 18 août, la direction implose : le directeur général, le directeur des Services énergétiques et celui des Services digitaux démissionnent.
Et hier, la vérité a éclaté. Le Nouvelliste a révélé l’ampleur du gouffre : 55 millions de dettes, une trésorerie asséchée et 25 postes supprimés. La commune, actionnaire principal, est contrainte de débloquer 13 millions pour éviter la faillite.
La faillite financière, désormais publique, n’a fait qu’entériner une faillite plus ancienne : celle du lien de confiance entre une entreprise et ceux qui la faisaient vivre.
Les nombreux témoins que nous avons rencontrés ont tous souhaité conserver l’anonymat.
La réaction de Fabien Sauthier
Au lendemain de la présentation du conseil d’administration d’Altis devant les conseillers généraux, le président de Val de Bagnes, Fabien Sauthier, livre sa réaction — et revient également sur notre enquête.