Arnaud Boisset : "J'aimerais à nouveau être prêt à risquer ma vie en sortant du portillon"
Arnaud Boisset se prépare à retrouver le circuit de la Coupe du Monde. Dans deux semaines, il sera de retour à Beaver Creek, lieu de son impressionnante chute de l'hiver dernier. Lieu qui a marqué un tournant dans sa carrière. Le Martignerain se confie sur les mois écoulés et ceux à venir.

C'était il y a près d'un an. Le 6 décembre 2024. Lancé à plus de 120km/h, Arnaud Boisset était victime de la Birds of Prey (Oiseaux de Proie en français). Après 1'30 de course et alors que la ligne d'arrivée approchait, le Martignerain chutait lourdement sur l'exigeante piste de Beaver Creek. Inconscient avant d'être héliporté à l'hôpital, il s'en sortait finalement avec une commotion et d'importantes contusions. Des moindres maux au vu de l'ampleur de son accident. Physiquement en tout cas.
Car les conséquences de cet événement, le Martignerain les a ressenties encore longtemps après. Invisibles, elles se manifestaient sur son mental. Pourrissaient son esprit. Lui-même ne le cache pas, il y a un avant et un après cet épisode vécu dans le Colorado. "Je ne suis plus le même Arnaud qu'il y a douze mois. La 2ème partie de ma carrière a débuté ce jour-là. On verra bien où elle me mène." Revenu sur le circuit lors des classiques du mois de janvier, il avait mis un terme prématuré à son hiver après une nouvelle chute survenue lors d'un entraînement à Crans-Montana en février. De là a commencé un important travail psychologique. "Pour mon cerveau reptilien, je ne suis pas passé loin de la mort. Pour se protéger, il a mis en place des mécanismes défensifs que je dois aujourd'hui effacer si je veux à nouveau performer à haut niveau." Sur le chemin de la guérison, le spécialiste de vitesse affirme être parti d'une sorte de feuille blanche.
Si Arnaud Boisset a essayé diverses choses, c'est qu'aucune recette miracle n'existe pour se remettre d'un traumatisme. "Un thérapeute peut très bien convenir à une personne et pas à une autre", relève-t-il. "Dans l'équipe, nous avons tous le même entraîneur de ski, mais un coach mental différent. Certains ont besoin d'un hypnotiseur, d'autres d'un psychologue du sport ou même d'un gourou. Chacun fait selon ses besoins."
La patience comme règle d'or
Ces douze derniers mois, le Martignerain a été confronté à un élément qu'il ne chérit pas vraiment : l'exercice de la patience. "On ne peut pas vraiment dire que ce soit ma qualité première", se marre-t-il. "Malgré tout, j'ai appris au fil de mon parcours que la patience pouvait déboucher sur de belles choses. Je n'oublie pas que j'ai dû attendre d'avoir 25 ans pour faire mes débuts en Coupe du Monde. Je sais aussi qu'avec la densité qui règne au sein de notre équipe, la patience est une règle d'or. En descente, huit suisses figurent parmi les trente meilleurs. Il n'y a donc pas de place pour un autre. C'est le désavantage d'avoir un groupe aussi fort."
Après être entré par la grande porte au plus haut niveau il y a deux ans, signant même son tout premier podium en se classant 3ème du Super-G des finales à Saalbach en 2024, Arnaud Boisset aurait toutes les raisons d'être frustré d'avoir vu son éclosion être stoppée net. "La frustration est mon pire cauchemar. J'essaie de ne pas en avoir", affirme-t-il pourtant. "Dans le sport d'élite, être frustré est le début de la fin. Ce qui m'est arrivé, je l'attribue plutôt à une forme de fatalité et de malchance. Je n'oublie pas non plus que la saison d'avant, les étoiles étaient alignées en ma faveur. C'est ma carrière, mon histoire. Les choses étaient écrites ainsi. On verra ce que la suite me réserve, mais une chose est sûre : je compte bien me relever."
Une "vie de rêve" qu'il n'est pas prêt de lâcher
Plutôt que de s'apitoyer sur son sort, le spécialiste de vitesse est donc décidé à tout mettre en œuvre pour revenir. Différent, c'est sûr. Aussi fort, au moins. Plus fort, peut-être. "Je suis têtu de base", sourit-il lorsqu'on évoque son exemplaire abnégation. "J'adore mon sport et j'adore ma vie. Je n'ai pas peur de parler de vie de rêve. Je suis actif sur les skis, je vis des émotions de fou et je construis des souvenirs qui sont uniques. Une telle intensité de sentiments serait difficile à trouver dans un job de bureau. Je suis conscient que je tiens une chance en mains et je veux absolument l'utiliser au maximum." Si la question ne s'est donc jamais réellement posée dans son esprit, une pointe d'émotion est perceptible dans la voix d'Arnaud Boisset lorsqu'on lui demande ce qui aurait bien pu le faire lâcher.
S'il se qualifie encore comme un néophyte dans le monde du cirque blanc – "J'ai fait une saison complète et une autre quasi blanche" – le Martignerain reconnaît que son sport évolue à vitesse grand V. "Tout progresse en même temps. Les athlètes, la préparation physique ou mentale, la récupération, l'alimentation et le matériel. Depuis quelques années, notre sport dispose de plus de moyens et on les utilise pour développer de nombreux domaines, à l'exception de la sécurité." Ce dernier élément s'impose justement comme un gros thème de discussion, des voix toujours plus nombreuses s'élevant pour demander des solutions. "Moi-même, j'ai de la peine à ne pas dire ce que je pense. En ayant vécu un traumatisme crânien, j'estime avoir vu du plus proche ce qui peut arriver de pire à un athlète. Je ne tiens pas à être un porte-parole du mouvement et je ne me prétends surtout pas expert du sujet, mais je peux vous assurer que je me sentais plus en sécurité à 160km/h dans la voiture de Thibaut Maret lors d'une reconnaissance du Rallye du Valais qu'à 160km/h sur une piste de ski, avec une combinaison, une dorsale et un casque pas très épais."

Contrairement à d'autres skieurs qui s'y sont opposés, Arnaud Boisset a toujours été favorable au port de l'airbag. "Je le portais même avant qu'il devienne obligatoire", témoigne-t-il en relevant que sur ce point aussi, une évolution est notable. "Nous ne sommes plus du tout sur le modèle de base. Les fournisseurs ont appris des quelques problèmes qui ont pu avoir lieu. Une fois par exemple, le mien est sorti en pleine course, sans raison. Mais cette année, on a eu droit à une nouvelle amélioration du produit."
À l'approche du lancement du nouvel hiver et, notamment, de son retour à Beaver Creek, Arnaud Boisset explique ne pas se fixer d'objectif précis pour cette saison. "Cela dépendra de plein de choses. Ma priorité est de retrouver le même état d'esprit qu'il y a deux ans, me sentir à ma place. J'aimerais à nouveau être prêt à risquer ma vie en sortant du portillon. À partir de là, les résultats suivront. Je n'ai pas oublié comment skier." Le Martignerain prendra les choses comme elles viendront. Sans pression. "Pendant ma saison blanche, les Suisses ont fait des performances incroyables. Alexis Monney, Franjo von Allmen ou même Stefan Rogentin sont logiquement plus attendus que moi désormais. Tant mieux. Cela me permet de faire mon petit bout de chemin sans être au centre des sollicitations." S'il rappelle qu'un hiver historique comme le dernier ne doit pas être considéré comme une normalité, il se réjouit forcément d'avoir pu retrouver ses coéquipiers dans une dynamique si positive.
