Empêtrée dans la crise, la Swiss League a-t-elle un avenir?
Des équipes qui se retirent, une concurrence de la part de l'élite jugée déloyale, une perte de revenus à compenser: depuis quelques mois, les difficultés s’amoncellent sur la Swiss League. De quoi interroger sur le futur de ce championnat qui (se) cherche des solutions pour survivre.

Dans l’air depuis un certain moment, l’information a été officialisée en milieu de semaine dernière. Faute de perspective d’avenir et de projet concret pour remplacer sa désuète patinoire du Schoren, en déficit financier depuis plusieurs années et en manque de joueurs sous la forme de licences A, Langenthal a pris une décision radicale: celle de tirer la prise. Le club bernois se retirera du championnat de Swiss League au terme de la saison actuelle.
Langenthal: 2ème d’une série de retraits?
Si cette décision interpelle, c’est non seulement qu’elle concerne un club «historique» du championnat de 2ème division. Une formation qui y évolue pour la 21ème saison consécutive et qui a remporté trois fois le titre de champion lors de la dernière décennie. Mais c’est surtout qu’elle n’est pas un cas unique. Au terme de l’exercice écoulé, Zoug avait montré la (triste) voie en ne poursuivant pas l’aventure de sa deuxième garniture, Zoug Academy. Et rien ne dit que d’autres ne suivront pas le mouvement ces prochains mois. Winterthour et les Ticino Rockets entretiennent notamment le suspense quant à leur avenir.
«La situation de la Swiss League est préoccupante, c’est clair mais elle l’était déjà avant ce retrait de Langenthal.» Patrick Bloch, CEO de Swiss Ice Hockey
«La situation de la Swiss League est préoccupante, c’est clair mais elle l’était déjà avant ce retrait de Langenthal», relève Patrick Bloch, le CEO de Swiss Ice Hockey. Alors que douze équipes semblent nécessaires pour qu’il soit viable, le championnat risquerait de passer - en tout cas - de dix à neuf formations l’an prochain. Dans le pire des cas, il se pourrait même qu’ils ne soient plus que…sept à croiser le fer dans l’antichambre de l’élite. «On doit trouver des solutions pour éviter d’en arriver là. Plusieurs pistes existent pour y parvenir.»
Une double promotion dans l’élite qui a eu des répercussions
Mais avant de nous y intéresser, concentrons-nous sur les raisons qui ont conduit la 2ème division en pareille posture. «Le passage de la National League de 12 à 14 s’est tout de suite répercuté sur nous», commence le président du HC Sierre Alain Bonnet. «Cette élite à 14 devait être provisoire. Or, on voit bien que la volonté de ceux qui sont en-haut n’est pas de revenir en arrière», enchaîne le directeur du HC Viège Sébastien Pico. Les deux dirigeants valaisans regrettent évidemment la perte d’Ajoie et Kloten, deux clubs qui rendaient la Swiss League attractive et qui ont tour à tour fait le saut à l’échelon supérieur. «Heureusement, il reste les derbys qui sont toujours des matches intéressants.»
«Le hockey suisse a besoin de démocratie. Aujourd’hui, on se trouve dans une structure qui est malsaine.» Sébastien Pico, directeur du HC Viège
Tant du côté de la Lonza Arena que de Graben, le principal regret est l’absence de soutien, de discussions entre les clubs des deux premières divisions du pays. «Le hockey suisse a besoin de démocratie. Aujourd’hui, on se trouve dans une structure qui est malsaine et qui ne permet pas une concurrence loyale», tonne Sébastien Pico. Le directeur haut-valaisan illustre son propos par un exemple concret: «Lors des votes, chaque club de Swiss League dispose de deux voix alors que ceux de National League en ont trois. Quand tu es déjà dix contre quatorze et qu’en plus, tu n’as pas les mêmes droits, ça complique évidemment la chose. Ce d’autant que deux formations de notre championnat (ndlr: les Ticino Rockets et les GCK Lions) sont des clubs fermes et suivent régulièrement les décisions de leur maison-mère.»
Près de 400'000 francs de revenus envolés
Le déroulement des séries de promotion-relégation, le retrait des clubs professionnels de la Coupe de Suisse - «elle était pourtant très importante pour nous», soupire Sébastien Pico -, le passage à six étrangers en 1ère division: toutes ces décisions importantes ont été prises sans que les membres de la Swiss League n’aient réellement leur mot à dire. «On s’est aussi retrouvés sans les droits TV qui représentaient quelques 380'000 francs après le choix de la National League de se lancer en société anonyme», rappelle Alain Bonnet. «Le coup a été dur à encaisser…surtout pour les clubs à plus faible budget. Il a alors fallu que l’on crée notre propre plateforme de streaming qui nous apporte des revenus qui n’ont rien à voir avec ce que l’on percevait auparavant…»
«Au vu de la situation actuelle, je peux comprendre que des clubs émettent quelques réserves quant au fait de rejoindre une ligue qui fait face à autant de problèmes.» Sébastien Pico, directeur du HC Viège
Un pouvoir de décision qui s’amoindrit, la liste des prétendants à un retrait qui s’allonge, des recettes revues à la baisse: il ne semble vraiment pas bon être un club de Swiss League en 2022, après deux ans déjà fortement impactés par la crise du covid. «Renforcer les structures de notre championnat est fondamental pour attirer les équipes de MyHockey League (ndlr: la 3ème division) et les convaincre de tenter le saut», affirme Sébastien Pico. «Au vu de la situation actuelle, je peux comprendre qu’elles émettent quelques réserves quant au fait de rejoindre une ligue qui fait face à autant de problèmes.»
De deux à trois promotions depuis la MyHockey League?
C’est pourtant bien par là que la solution doit visiblement venir pour stopper l’hémorragie et proposer un championnat 2023/2024 cohérent. Trois clubs se sont aujourd’hui portés candidats à l’accession dans cette catégorie de jeu: le HCV Martigny, Arosa et Coire. «Le règlement actuel est clair: si deux de ces trois équipes se retrouvent en finale des playoffs de MyHockey League, elles pourront les deux monter», rappelle Patrick Bloch. «Notre priorité est que ces potentielles promotions soient obtenues sur la glace et pas sur le tapis vert…mais si le bien du hockey suisse est en jeu, nous pourrions faire des exceptions.»
«Si la situation le requiert, on fera plusieurs propositions aux clubs de Swiss League et MyHockey League et ce sera ensuite à eux de trancher.» Patrick Bloch, CEO de Swiss Ice Hockey
Le CEO de Swiss Ice Hockey laisse en ce sens la porte ouverte à plusieurs variantes. On pourrait par exemple imaginer les trois formations candidates grimper d’un seul coup. Ou alors, dans le cas où seulement l’une d’entre elles accède à la finale, permettre à une autre de faire le pas malgré tout. «Si la situation le requiert, on fera plusieurs propositions aux clubs des deux championnats concernés et ce sera ensuite à eux de trancher.» Mais en fonction de ce qui est entrepris, ne risquerait-on pas de repousser le problème plus loin et d’appauvrir la MyHockey League? «Pas forcément puisque Langenthal jouera dans ce championnat dès l’an prochain et que ça pourrait aussi être le cas de Winterthour», rétorque Patrick Bloch. «Et puis bon, à l’heure actuelle, la 3ème division compte douze clubs. Suivant les mouvements qui ont lieu, elle en compterait toujours entre dix et onze l’année prochaine.»
La solution la plus drastique: une fusion des ligues
Une autre option, plus drastique, pourrait aussi être envisagée. Celle de fusionner cette Swiss League en péril à cette MyHockey League qui peine parfois à trouver son public. «À titre personnel, ce n’est pas une solution que je préconise», répond d’emblée Sébastien Pico. «Le but est de professionnaliser notre championnat, pas d’encore plus l’amateuriser. Il est impératif de maintenir un bon niveau dans cette catégorie pour permettre aux jeunes de s’y développer. La Swiss League a été et reste certainement l’une des meilleures deuxièmes divisions d’Europe. Ce serait dommage de changer ça.» Sur ce point encore, le son de cloche est le même à Graben qu’à la Lonza Arena. «Jouer dans la même ligue qu’une équipe qui n’a pas les moyens d’être compétitive ne ferait qu’empirer le niveau de jeu et l’attractivité de notre championnat», affirme ainsi Alain Bonnet.
«On fera tout pour faire comprendre aux clubs de l’élite notre importance pour le hockey suisse.» Alain Bonnet, président du HC Sierre
Au milieu de la brume dans laquelle est engouffrée la Swiss League, une lueur existe tout de même: une nouvelle table ronde organisée d’ici la fin de l’année avec les représentants de l’élite. «On verra bien quel sera leur positionnement nous concernant», souffle le président du club de la cité du Soleil. «De notre côté, on fera tout pour leur faire comprendre notre importance pour le hockey suisse. J’ai bon espoir que l’on trouve, ensemble, des solutions à nos différents problèmes.»
Et quitte à ne pas trouver la meilleure, il faudra au moins se mettre d’accord sur la moins pire de ces solutions. L’avenir d’une ligue mais aussi de toute la pyramide du hockey suisse en dépend. Une prise de conscience est nécessaire à tous les niveaux.
